11 janvier 2016

Être accro au travail ne devrait pas être un insigne d’honneur

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Avez-vous déjà pris part à une conversation comme celle ci‑dessous?
Personne A : « Je suis tellement occupé au travail ces derniers temps! Je ne crois pas avoir quitté le bureau avant 19 h une seule fois de toute la semaine. »
Personne B : « Oh, même chose pour moi; je travaille probablement 60 heures par semaine depuis un mois! »
Personne C : « Ne m’en parlez pas! Je ne me souviens plus du dernier week-end où je n’ai pas dû travailler. »
Si vous reconnaissez ce type de conversation, c’est parce que nous vivons dans une société où nous essayons souvent de prouver notre valeur et notre importance en nous vantant de tout le travail que nous accomplissons. Bien qu’il soit louable de travailler fort et de donner son maximum, il y a une limite quant à ce que la plupart des gens peuvent donner à leur emploi. En fait, les personnes qui essaient systématiquement de trop en faire nuisent à leur propre bien‑être.

Qu’est‑ce que l’ergomanie ?

« Ergomanie » est un terme familier utilisé pour décrire le phénomène des personnes qui passent énormément de temps à travailler; le terme anglais correspondant, « workaholism », remonte à au moins 1947[i] et a été adopté officiellement en 1971[ii]. Même si la notion d’ergomanie contrairement à l’alcoolisme, n’est pas clairement définie dans la documentation pertinente, le terme anglais « workaholism » (qui, en plus de « laborite », a entre autres comme équivalents français « boulomanie » et « travaillite ») est souvent utilisé dans la recherche psychologique sur les comportements de dépendance entourant le travail. L’ergomanie s’entend donc du comportement malsain des gens qui se sentent contraints de travailler, par opposition à ceux qui consacrent beaucoup de temps à leur travail en raison du plaisir qu’ils en tirent[iii]. Aziz et Zickar ont ajouté à cette description en définissant les « bourreaux de travail » (terme français équivalent du terme anglais « workaholics ») comme des personnes motivées à travailler et à s’engager au travail, mais qui n’y trouvent pas beaucoup de plaisir, contrairement aux « passionnés du travail » (traduction de la notion de « work enthusiasts » en anglais), qui s’engagent de façon dynamique au travail et y ont beaucoup de plaisir, mais qui se sentent moins contraints d’y investir des efforts et un temps déraisonnables[iv].

Quel est l’impact de l’ergomanie et du travail excessif ?

Le plus grand impact de l’ergomanie se fait sentir sur la santé et le bien‑être du bourreau de travail. Une étude réalisée par Shaufeli, Taris et Rhenen[v] a révélé une forte corrélation entre la motivation excessive à l’égard du travail et des problèmes de santé comme l’anxiété, les affections psychosomatiques et l’épuisement. Plus étonnamment, on a constaté que les personnes qui se sentent très contraintes de travailler trouvent, en général, moins de satisfaction que les autres au travail. L’ergomanie a une incidence néfaste sur la santé physique et mentale. Ce phénomène peut être atténué par une adaptation active, qui peut même entraîner des résultats positifs en matière de santé[vi]. Cependant, il peut également être atténué par une décharge émotive (p. ex. se plaindre à outrance), mais cela risque plutôt de mener à des problèmes de santé. En plus de l’incidence négative sur le bien‑être personnel, l’ergomanie a été associée à des problèmes de conciliation travail‑famille. Cela est attribuable en partie au stress élevé qui accompagne l’ergomanie, ainsi qu’au stress additionnel qu’elle impose aux relations familiales en raison du temps supplémentaire qui est consacré au travail[vii].
La relation entre l’ergomanie et les résultats au travail est moins directe. Même si les bourreaux de travail sont souvent plus motivés et disposés à s’investir que les autres, ce qui leur permet initialement d’avoir une plus grande productivité, les conséquences néfastes de leur comportement sur leur santé peuvent entraîner une diminution de leur rendement au fil du temps. La composante de l’épuisement dans l’épuisement professionnel est un indicateur prévisionnel important du rendement au travail, c’est‑à‑dire que les employés épuisés offrent un rendement inférieur à celui de leurs collègues en santé[viii]. C’est pourquoi il est important de maintenir la charge de travail à un niveau raisonnable.

 Pourquoi travaille‑t‑on si fort ?

Déterminer l’impact du travail excessif sur la santé mentale ne se limite pas à établir une simple corrélation. Certains travaux de recherche ont révélé que la relation entre le temps consacré au travail et la mesure du bien‑être était tout à fait contraire à ce à quoi l’on pourrait s’attendre, c’est‑à‑dire que les employés qui disaient travailler le plus grand nombre d’heures étaient également ceux qui prétendaient se sentir le mieux mentalement (McMillan et O’Driscoll, 2004)[ix]. En outre, leur bien‑être physique était comparable à celui des personnes qui ne travaillaient pas de façon excessive. Le principal facteur apaisant semble être le plaisir que les gens tirent de leur travail; en effet, les personnes qui ont le plus de plaisir à travailler semblent, en général, mieux se sentir physiquement et moins ressentir les symptômes du stress (p. ex. baisse d’énergie, maux et douleurs, insomnie) que les autres. Tout cela donne à penser que consacrer de nombreuses heures au travail n’est pas mauvais pour la santé, pourvu que l’on ait du plaisir à travailler. Toutefois, les gens qui font des heures supplémentaires pour des raisons extrinsèques comme l’argent ou l’avancement, ou parce que cela fait partie de la culture, subiront quand même un stress accru et les symptômes qui y sont associés. En revanche, la recherche donne à penser que les comportements non liés au travail, comme la participation à des activités de loisir, peuvent aider les travailleurs à se remettre des exigences du travail et, par la suite, à aborder de nouveau celui‑ci avec enthousiasme[x].
La chose la plus importante à garder à l’esprit, que l’on soit employeur ou employé, est qu’il faut veiller à ce qu’il soit possible, dans une mesure notable, de tirer du plaisir et de la satisfaction du travail, et éviter que quiconque soit écrasé par sa charge de travail. Il est véritablement bénéfique de décrocher et de prendre du temps pour soi, et ce, pour la santé ET pour le rendement au travail.
[i] « workaholic, n. and adj. », dans Oxford English Dictionary, Troisième édition.
[ii] OATES, W. E. Confessions of a workaholic: The facts about work addiction. World Publishing Company, 1971.
[iii] ROBINSON, B. E. « The Work Addiction Risk Test: Development of a tentative measure of workaholism », Perceptual and motor skills, vol. 88, no 1 (1999), p. 199-210.
[iv] AZIZ, S., et M. J. ZICKAR. « A cluster analysis investigation of workaholism as a syndrome », Journal of Occupational Health Psychology, vol. 11, no 1 (2006), p. 52.
[v] SCHAUFELI, W. B., T. W. TARIS et W. VAN RHENEN. « Workaholism, burnout, and work engagement: three of a kind or three different kinds of employee well‐being? », Applied Psychology, vol. 57, no 2 (2008), p. 173-203.
[vi] SHIMAZU, A., W. B. SCHAUFELI et T. W. TARIS. « How does workaholism affect worker health and performance? The mediating role of coping », International journal of behavioral medicine, vol 17, no 2 (2010), p. 154-160.
[vii] BRADY, B. R., S. J. VODANOVICH et, R. ROTUNDA. « The impact of workaholism on work-family conflict, job satisfaction, and perception of leisure activities », The Psychologist-Manager Journal, vol. 11, no 2 (2008), p. 241-263.
[viii] BAKKER, A. B., E. DEMEROUTI et W. VERBEKE. « Using the job demands‐resources model to predict burnout and performance », Human Resource Management, vol. 43, no 1 (2004), p. 83-104.
[ix] MCMILLAN, L. H., et M. P. O’DRISCOLL. « Workaholism and health: Implications for organizations », Journal of Organizational Change Management, vol. 17, no 5 (2004), p. 509-519.
[x] SONNENTAG, S. « Recovery, work engagement, and proactive behavior: a new look at the interface between nonwork and work », Journal of Applied Psychology, vol. 88, no 3 (2003), p. 518.