14 mars 2012

Accélérer le développement et réduire les risques de déraillement des employés à haut potentiel grâce à la pleine conscience

L’article de cette semaine vise à vous faire part des outils concrets qui vous permettront de procéder à l’application du concept de la pleine conscience en milieu de travail. Si vous n’avez toujours pas eu la chance de lire la première partie de cette série, veuillez y procéder maintenant!

Développer la pleine conscience au travail

Les entraînements à la pleine conscience ont rapidement gagné en popularité dans les 15 dernières années, notamment comme composantes efficaces du traitement de problèmes physiques et psychologiques. À cet égard, les bénéfices les plus souvent rapportés du développement de la pleine conscience sont la diminution du stress et de ses symptômes physiques, l’amélioration de l’humeur ainsi que du sentiment de bien-être. Par ailleurs, les entraînements à la pleine conscience et les thérapies basées sur la pleine conscience ont démontré leur efficacité pour le traitement de nombreuses maladies dont l’anxiété, la dépression, l’hypertension, les troubles du sommeil et de l’alimentation et pour diminuer les symptômes de l’asthme, du diabète, du psoriasis, de plusieurs scléroses et de la fibromyalgie (Germer, Siegel & Fulton, 2005).

Certaines organisations ont déjà commencé à introduire l’entraînement à la pleine conscience afin de réduire le stress et d’augmenter le bien-être des employés. C’est le cas chez Apple, Dell, Ford, GE, Google, IBM, Nike, 3M, Toyota et Yahoo (Boyce, 2009; Der Hovanesian, 2003; Duerr, 2004). Par ailleurs, la pleine conscience a été utilisée dans certains programmes de développement du leadership et de coaching avec succès (Carroll, 2007; Silsbee, 2004). Cependant, les recherches scientifiques sur l’impact de la pleine conscience au travail sont rares. Celles qui existent tendent à démontrer que la pleine conscience améliore la concentration, même après un entraînement relativement bref (Zeidan, Johnson, Diamond, David & Goolkasian, 2010). D’autres résultats suggèrent que ce type de formation contribuerait à une meilleure gestion du stress (Stanley & Schaldach, 2011).

Ainsi, même si la recherche sur la pleine conscience au travail en est qu’à ses débuts, les premiers résultats laissent entendre qu’elle pourrait contribuer au bien-être,  à la satisfaction et à l’efficacité des leaders. De plus, considérant les effets de la pleine conscience et les connaissances sur le développement des leaders, il existe de bonnes raisons de croire qu’elle pourrait influencer positivement le développement des hauts potentiels. En effet, la pleine conscience pourrait augmenter l’efficacité avec laquelle les hipos assument les rôles très stressants qui leurs sont confiés et diminuer les risques de déraillement.

Accélérer l’apprentissage en situation de stress

L’habileté à s’adapter et à apprendre des nouvelles situations est considérée comme une qualité clé des hipos puisqu’ils sont fréquemment exposés à des rôles difficiles qui exigent un certain dépassement de soi (Lombardo & Eighinger, 2000). Par exemple, les hauts potentiels sont couramment affectés à des rôles internationaux, au démarrage d’une nouvelle entreprise ou à la réorganisation d’un département en difficulté (McCauley, Ruderman, Ohlott & Morrow, 1994). Ainsi, ils doivent non seulement être capables d’apprendre de leurs expériences, mais aussi de livrer les résultats attendus, et ce, face à des conditions difficiles et stressantes.

L’ampleur du défi que représente un emploi peut avoir des conséquences sur la capacité d’apprendre d’un individu : lorsque le défi dépasse un certain point, le développement des habiletés atteint un plateau puis diminue (DeRue & Wellman, 2009). Une des explications de ce phénomène serait que de hauts niveaux de stress interfèreraient avec la mémoire et l’apprentissage (Chen, Dube, Rice & Baram, 2008). De ce fait, il est fort probable que l’effet de réduction du stress que procure la pleine conscience pourrait accroître la capacité d’apprendre d’un individu lorsqu’il se retrouve confronté à une situation qui représente un défi développemental. Certaines recherches tendent à confirmer cette hypothèse (Programme « Mindfulness-Based Mental Fitness Trainig » de l’armée des États-Unis; Jha, Stanley, Kiyonaga, Wong & Gelfand, 2010; Stanley & Schaldach, 2011). La capacité à observer et à accepter les événements tels qu’ils sont lors de situations stressantes semble libérer des capacités cognitives qui seraient autrement occupées par l’anxiété ou la distraction.

Par ailleurs, la pleine conscience pourrait aussi améliorer l’orientation vers l’apprentissage des hipos. Une des caractéristiques de l’état de pleine conscience est le maintien d’une attitude ouverte et dépourvue de jugements face aux expériences actuelles, ce qui est cohérent avec un haut niveau d’orientation vers l’apprentissage. Or, selon DeRue and Wellman (2009), les individus qui bénéficient d’une forte orientation vers l’apprentissage continueront de récolter des bénéfices développementaux et d’apprendre, peu importe l’ampleur du défi développemental que représente une situation. Bref, la pleine conscience pourrait réduire la tendance à se sentir dépassé par les événements ainsi que l’apparition de comportements de désengagement qui visent à protéger l’image de soi au profit de l’apprentissage et du développement professionnel.

Réduire les risques de déraillement

Le déraillement est le processus selon lequel des individus très brillants en début de carrière se trouvent incapables de franchir un certain niveau hiérarchique ou de responsabilité et subissent des revers professionnels significatifs. Selon McCall (1998), les facteurs qui mènent au déraillement des hauts potentiels sont :

  • Les forces sont utilisées de façon excessive ou inappropriée;
  • Les faiblesses deviennent plus évidentes aux niveaux supérieurs puisque d’un plus grand éventail de compétences et d’habiletés est nécessaire pour réussir. De ce fait, les faiblesses masquées par certaines forces très présentes risquent de devenir beaucoup plus apparentes;
  • Le succès pousse certains individus à croire qu’ils possèdent les habiletés et les connaissances nécessaires pour réussir dans toutes les situations. Cette arrogance diminue la motivation à apprendre, à se développer et à modifier ses comportements.

Les gestionnaires pris dans ce processus ont tendance à démontrer des comportements comme un pauvre contrôle émotionnel, l’insensibilité, des difficultés à établir de bonnes relations interpersonnelles et professionnelles ainsi que des difficultés à gérer les conflits ou les échecs (Hogan, Hogan & Kaiser, 2010). Ainsi, Hogan, Hogan & Kaiser (2010) suggèrent que la conscience de soi serait le facteur le plus important pour réduire les risques de déraillement.

Or, comme mentionné précédemment, la conscience est l’une des caractéristiques inhérentes de la pleine conscience (Brown & Ryan, 2003). Par conséquent, l’entraînement à la pleine conscience semble très pertinent, notamment parce que cela permettrait de développer la connaissance de soi, par le biais de l’acceptation impartiale de soi ainsi que la conscience de soi, par la conscience de ses pensées et de ses émotions dans le moment présent. De plus, l’entraînement à la pleine conscience pourrait saper les tendances à l’arrogance, réagir émotivement ou à l’insensibilité.

En somme, l’entraînement à la pleine conscience pourrait amener les hauts potentiels à être plus calmes, plus conscients d’eux-mêmes et plus empathiques, ce qui minerait plusieurs facteurs de déraillement. Il existe donc de bonnes raisons de croire que l’entraînement à la pleine conscience pourrait soutenir le développement des hipos tout en mitigeant les risques de déraillement. En d’autres mots, la pleine conscience pourrait vraisemblablement participer au développement de hauts potentiels qui ne seraient pas dépassés par les nouveaux défis, qui sauraient établir des relations authentiques et solides, qui exploiteraient leurs habiletés pour prendre de bonnes décisions et pour atteindre les objectifs.

Utiliser la pleine conscience pour développer les leaders

Même si des programmes d’entraînement à la pleine conscience existent déjà au sein de certaines organisations, les entreprises qui souhaiteront adapter ceux-ci aux besoins de développement des hauts potentiels devront fort probablement faire face à plusieurs défis.

Le premier défi concerne le contenu du programme de formation. La plupart des programmes d’entraînement à la pleine conscience existants visent à réduire les niveaux de stress des employés et à accroître leur bien-être. Or, même si leur contenu est efficace, les hauts potentiels pourraient ne pas être très réceptifs à l’idée que ralentir leur rythme pour porter attention à ce qui les entoure ou s’assoir silencieusement pour observer leur respiration va accroître leur rendement… Ils pourraient aussi confondre acceptation impartiale et passivité… Le contenu du programme d’entraînement devra donc être ajusté en fonction des caractéristiques particulières de ce groupe. De plus, d’autres contenus devraient être ajoutés, par exemple, pour guider l’application de la pleine conscience aux défis du leadership.

Le second défi est le format du programme. La plupart des programmes d’entraînement à la pleine conscience se déroulent en séances hebdomadaires de 2 heures pendant 8 semaines. Un horaire semblable pourrait être difficile à respecter pour les hipos, surtout s’ils œuvrent au sein de divisions de l’organisation géographiquement distantes. De ce fait, le format devra fort probablement être modifié et pourrait inclure une participation virtuelle ou un horaire variable.

Le troisième défi est plus fondamental : il s’agit du besoin d’être patient. Le développement d’une pratique profonde de la pleine conscience peut prendre des mois, ce qui est contraire à la culture de gratification immédiate. Ainsi, tous les acteurs impliqués, que ce soit les hipos, leurs gestionnaires ou les spécialistes de la gestion des talents, devront s’armer de patience et persévérer pour réellement récolter les bénéfices de cette pratique unique.

L’entraînement à la pleine conscience au travail propose une toute nouvelle approche du développement des hauts potentiels, des leaders et des employés. En effet, cela implique que les individus détiennent le potentiel pour être plus efficaces dans leur emploi en utilisant leur capacité innée à être totalement présents et en modifiant leur façon de se percevoir et de percevoir le monde.


1Résumé et traduction de Lee, A. (2012). Accelerating the Development and Mitigating Derailment of High Potentials through Mindfulness Training. The Industrial-Organizational Psychologist, 49, 3, 23-33.

Philippe Longpré, Ph.D. (cdt)

Références

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