13 juin 2012

Les mesures de conciliation travail-famille : un avantage concurrentiel pour les organisations

Il est dorénavant généralement reconnu que la conciliation entre le travail et la famille est un enjeu important qui préoccupe à la fois les employés et les organisations (Beauregard et Henry, 2009). En effet, les organisations n’ont d’autre choix que de considérer cette problématique dans leurs pratiques de gestion des ressources humaines, notamment en raison des répercussions qu’elle peut avoir sur la rétention des employés et sur leur capacité d’attirer de nouveaux talents. En fait, selon des recherches récentes, le conflit travail-famille vécu par les employés aurait plusieurs répercussions sur les organisations : les employés vivant un conflit travail-famille élevé risquent d’afficher un plus haut taux d’absentéisme, d’être moins satisfait au travail et d’être moins engagés envers l’organisation (Duxbury, Higgins et Johnson, 1999; Martens, Eddleston et Verga, 2002).

Le présent article présentera les informations recueillies lors d’une recension de la documentation scientifique portant sur le sujet. Plus précisément, il sera question des mesures organisationnelles qui permettent aux employés de mieux gérer le travail et la famille et des facteurs qui favorisent leur utilisation. Finalement, nous dresserons un bref portrait des impacts de ces mesures au niveau individuel et organisationnel.

Il existe plusieurs pratiques qui peuvent être adoptées par les organisations afin de permettre aux employés de mieux concilier le travail et la famille. Ces mesures sont habituellement regroupées en 4 catégories : 1) la flexibilité de l’aménagement du temps de travail; 2) le télétravail; 3) les mesures de soutien à la famille et 4) les avantages sociaux et les compléments de salaire à la naissance d’un enfant. (Ferrer et Gagné, 2006; Guérin et al., 1997). Le tableau ci-dessous présente les mesures les plus utilisées par les organisations.

La flexibilité de l’aménagement du temps de travail regroupe plusieurs pratiques. D’une part, il y a l’horaire variable, c’est-à-dire le choix des heures d’arrivées et de départs correspondant à une plage horaire obligatoire. Selon les données de Guérin et al. (1997), 35% des entreprises sondées offrent ce service. D’autre part, Il y a la semaine comprimée, qui consiste à étaler les heures de travail sur une période de 4 jours ou moins en augmentant la durée des journées de travail. Une autre pratique concerne le fait de volontairement travailler à temps partiel. Finalement, certains employeurs offrent la possibilité de partager un poste afin de permettre à deux ou plusieurs employés de se partager les tâches pour un même poste, tout en gardant les mêmes avantages sociaux et possibilités de carrière que les employés qui occupent des postes à temps complet. Ces pratiques seraient offertes par 15 % des entreprises (Guérin et al., 1997). Par ailleurs, selon une étude de Ferré et Gagné (2006) sur les entreprises canadiennes, 54% des femmes et 58% des hommes auraient accès à ce genre de pratique. Or, seulement 35% des femmes et 39% des hommes disent utiliser ce genre de pratique.

La deuxième catégorie de pratique concerne le télétravail, c’est-à-dire la possibilité d’effectuer un travail rémunéré à partir de son domicile pendant une partie des heures de travail régulières (Guérin et al., 1997). Généralement, le télétravail est proposé pour 1 à 2 journées par semaine (Hill et al., 2001). Selon Tremblay et al. (2006), environ 11 % des travailleurs auraient la possibilité de faire du télétravail, mais seulement 6% se prévaudraient de cette offre. Par ailleurs, la plupart du temps, les employés adopteraient le télétravail pour des raisons reliées au travail lui-même et non pour des raisons familiales (Tremblay et al., 2006).

Les mesures de soutien à la famille constituent le troisième groupe de pratiques ayant pour but d’aider les travailleurs à mieux concilier leur travail et la vie familiale. D’abord, il y a les garderies en milieu de travail. Selon une étude de Guérin et al. (1997) menée sur 301 entreprises québécoises, les employeurs peuvent offrir des garderies pour les enfants d’âge préscolaire, des services de garde pour les enfants d’âge scolaire (journées pédagogiques, vacances) et des services d’aide d’urgence (maladie d’une gardienne ou d’un enfant), souvent sous forme de congés personnels payés. De plus, selon Tremblay et al. (2006), l’aide à la garde des enfants serait la pratique la plus souhaitée par les parents avec un enfant de moins de 3 ans. Outre les garderies, des services d’informations et de références peuvent aussi être  offerts par les organisations. Ceux-ci permettent aux employés d’obtenir des conseils ou des recommandations au sujet des services scolaires et de la garde des enfants. Finalement, il  existe des programmes d’aide aux employés qui permettent d’aider les employés à résoudre des problèmes personnels ou familiaux qui affectent leur vie au travail. Selon Ferré et Gagné (2006), 12 % des travailleurs canadiens auraient accès à ce genre de pratiques alors que seulement 2% en feraient l’utilisation.

Finalement, le dernier groupe de pratiques concerne les avantages sociaux, les compléments de salaires et les congés. En ce qui concerne les congés, depuis janvier 2001, les travailleurs canadiens ont droit à un congé parental d’un an. Or, depuis janvier 2006, les employés québécois peuvent choisir entre deux programmes publics différents soit, un congé plus long avec des prestations plus faibles ou un congé plus court avec des prestations plus élevées (Tremblay, Fusulier & Loreto, 2009). En plus du congé parental et du congé de maternité, certaines entreprises offrent également des congés sans soldes et des congés pour des raisons familiales (Guérin et al., 1997). Par ailleurs, certaines organisations offriraient des extensions aux congés prévus par la loi ou des compléments de salaire plus élevés que ce que la loi prévoit. D’autre part, il existe également des programmes d’assurances collectives familiales qui permettent de protéger les employés face à une situation imprévue (décès, maladie) ou d’aider à diminuer les coûts liés à des services de santé (médicaments, dentiste, etc.).

Or, comme le démontre les statistiques, l’implantation de mesures ne garantie pas que les employés les utiliseront (Ferrer et Gagné, 2006). En fait, plusieurs facteurs sont à considérer lors de la mise en place de ces pratiques afin de s’assurer qu’elles soient utilisées par les employés.

Les facteurs qui influent l’utilisation des mesures par les employés
Selon Ferrer et Gagné (2006), le fait que ce ne sont pas tous les employés qui utilisent les mesures offertes par les organisations pourrait être dû au fait que celles-ci ne correspondent pas à leurs besoins. En effet, certaines pratiques peuvent être utiles pour certaines familles (comme les garderies en milieu de travail), mais ne pas l’être pour d’autres.

D’autre part, plusieurs auteurs conviennent que les employés sont plus enclins à utiliser les pratiques si l’environnement de travail (Frye et Breaugh, 2004) et les superviseurs (Allen, 2001) les supportent. Par conséquent, il a été suggéré qu’un manque de support aurait une influence sur le fait que les employés utilisent les pratiques ou non. De plus, les employés peuvent avoir peur des impacts négatifs que pourraient avoir l’utilisation des pratiques, comme la flexibilité du temps de travail, sur leur carrière. À vrai dire, ils pourraient avoir peur d’être perçus comme n’étant pas sérieux ou avoir l’impression de sacrifier les possibilités de promotions futures (Anderson et al., 2002). En bref, la perception d’être soutenu par les gestionnaires et l’organisation est un facteur déterminant en ce qui concerne l’utilisation des pratiques liés à la conciliation travail-famille.

Impacts sur les individus

Comme mentionné précédemment, les employés vivant un conflit travail-famille plus intense seraient moins satisfaits au travail, plus stressés et moins engagés face à leur organisation. De plus, ils s’absenteraient plus fréquemment et ils afficheraient un taux de roulement plus élevé que les employés qui ne doivent pas composer avec ce conflit (Duxbury, Higgings et Johnson, 1999). Par conséquent, il semblerait que les mesures mises de l’avant par les organisations permettraient de diminuer les effets négatifs liés au conflit entre le travail et la famille. D’ailleurs, on constate que plusieurs des mesures mises en place permettraient effectivement d’augmenter la satisfaction au travail (Aryee, Luk et Stone, 1998; Gajendran et Harrison, 2007; Kossek et Nichol, 1992), de diminuer le stress perçu par les employés (Kossek et Nichol, 1992; Halpem, 2005) et d’augmenter l’engagement organisationnel (Halpern, 2005, Kossek et Nichol, 1992). De plus, les pratiques de flexibilité de l’aménagement du temps de travail tendrait à diminuer le taux d’absentéisme des employés (Baltes et al., 1999; Halpern, 2005) alors que le télétravail améliorerait la perception d’efficacité des employés.

Impacts des pratiques sur l’organisation

Les mesures de conciliation travail-famille ont également un impact sur l’organisation, notamment sur le recrutement, la rétention du personnel et la productivité organisationnelle. En ce qui concerne le recrutement, une organisation qui offre des pratiques innovatrices de conciliation travail-famille améliore sa réputation organisationnelle (Arthur et Cook, 2004). En fait, l’instauration de ces mesures devient un avantage compétitif face aux autres organisations, particulièrement dans un contexte où il y a pénurie de main-d’œuvre. Les individus sont attirés par ces entreprises puisqu’ils ont l’impression qu’ils seront supportés par l’organisation (Beauregard et Henry, 2009).

En plus d’améliorer le recrutement, les pratiques de conciliation travail-famille permettraient de retenir les employés au sein de l’organisation. À cet égard, des études démontrent une diminution de l’intention de quitter des employés qui œuvrent pour une organisation qui a adopté de mesures de conciliation travail-famille (Anderson et al., 2002).  En ce qui concerne la productivité organisationnelle, les résultats d’une étude de Beauregard et Henry (2009) démontreraient que les mesures mises en place augmenteraient la performance et les profits, bref, ils permettraient d’obtenir une meilleure productivité organisationnelle. Selon ces chercheurs, l’augmentation de la productivité organisationnelle pourrait être due au fait que les employés sont poussés à travailler plus fort car il serait plus coûteux de perdre un emploi qui offre des pratiques de flexibilité que de perdre un emploi qui n’en offre pas. En définitive, la plupart des pratiques de conciliation travail-famille ont un coût financier peu élevé et permet un retour sur investissement intéressant puisqu’ils influencent positivement la productivité des employés et de l’organisation (Beauregard et Henry, 2009).

Or, il importe de mentionner que la culture organisationnelle aurait un effet important sur le lien entre les pratiques de conciliation vie privée-vie professionnelle et leurs effets sur les employés et les organisations (Allen, 2001; Beauregard et Henry, 2009; Hang-Yue, Foley et Loi, 2009; Nor et al., 2002; Thompson, Beauvais et  Lyness, 1999).  Ainsi, selon Thompson et al. (1999), il faudrait que la culture et les valeurs organisationnelles soient favorables aux pratiques de conciliation afin d’en observer les effets bénéfiques. En vérité, le fait d’obtenir du soutien de la part du gestionnaire est un facteur tout aussi important pour réduire le conflit travail-famille (Beauregard & Henry, 2009), tout comme il est un facteur qui influence l’utilisation des pratiques. Dans une organisation, la culture organisationnelle est un aspect difficile à changer. La plupart du temps, on ne s’attaque pas à celle-ci quand on implante des pratiques de conciliation travail-famille (Harrington et James, 2005).

En bref, la plupart des auteurs soutiennent qu’il n’est pas suffisant d’implanter des pratiques de conciliation travail-famille, mais qu’il faut considérer le soutien organisationnel afin que les employés utilisent les mesures mises en place et qu’elles soient efficaces (Allen, 2001; Thompson et al., 1999).

Stéphanie Mélançon, M. Ps. (cdt)

Références

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